Valeur ajoutée des lycées : peut mieux faire

Le ministère de l’éducation nationale publie depuis 2008 des indicateurs de valeur ajoutée des lycées. Ces indicateurs mesurent la qualité intrinsèque de l’équipe pédagogique de chaque lycée : il s’agit d’éliminer, dans les résultats du lycée au baccalauréat, ce qui est dû au niveau initial des élèves quand ils sont arrivés en seconde. Ainsi, la valeur ajoutée d’un lycée mesure « la différence entre les résultats obtenus et les résultats qui étaient attendus, compte tenu des caractéristiques scolaires et socioprofessionnelles des élèves ».

Initiative louable. Avec un peu plus de 65 milliards d’euros budgété en 2015, l’éducation nationale est le premier poste du budget de l’Etat. Il est légitime de mettre à la disposition du contribuable le moyen de choisir l’établissement qui lui permettra de maximiser le rendement de ses impôts (et d’offrir la meilleure chance à ses enfants, bien sûr).

Les notes méthodologiques mises à disposition du public sur ces indicateurs sont plutôt concises. Difficile de savoir comment ils sont calculés précisément et donc d’évaluer directement leur qualité. Il y a cependant un moyen indirect d’évaluer cette qualité. Si les indicateurs de valeur ajoutée répondent à leur objectif, ils ne doivent être corrélés qu’avec les caractéristiques de l’équipe pédagogique, à l’exclusion d’autres facteurs (structure socio-démographique de la population d’élèves, organisation administrative,…).

Nous sommes donc allés regarder ce qu’il en est.

Pas question d’aller récolter des données sur chaque lycée et sa population de lycéens : cela serait long et coûteux. Comme pour nos autres travaux, l’idée est d’utiliser les données disponibles gratuitement sur le web. Nous avons combiné les indicateurs de valeur ajoutée, disponibles par lycée, avec les données du recensement au niveau commune. L’indicateur que notre modèle cherche à expliquer est la moyenne des 5 indicateurs de valeur ajoutée calculé par le ministère de l’éducation.

La mise en correspondance au niveau lycée est bien sûr approximative : il y a un peu plus de 2000 lycées, et 36 000 communes. L’attraction d’un lycée dépasse les frontières de sa commune, et une commune peut avoir plusieurs lycées. Tous les indicateurs utilisés ont été calculés au niveau commune, au niveau canton et au niveau de la sous-préfecture, afin de capturer au mieux la zone d’attraction des lycées.

Première variable explicative de la valeur ajoutée d’un lycée : le fait qu’il soit public ou privé. Parmi les lycées dont les résultats sont supérieurs aux attentes, 41% sont privés. Seuls 25% des lycées dont les résultats sont inférieurs aux attentes sont privés. Il est possible que la qualité pédagogique des lycées privés soit intrinsèquement meilleure que celle des lycées publics, comme le laisse ainsi entendre le ministère de l’éducation nationale….Pas si sûr cependant. Le privé fait moins bien que le public sur un seul des cinq indicateurs : le taux d’accès au bac pour les lycéens qui sont arrivés en seconde dans le lycée. Signe d’une sélection des lycéens, dont on aimerait être certain que les autres indicateurs de valeur ajoutée ont été nettoyés.

Trois autres variables ont ensuite un impact similaire : le taux d’immigrés de la commune, le taux de chômage du canton, le pourcentage d’enfants de professeurs ou d’instituteurs dans le canton.

Moins d’immigrés dans les communes des lycées à plus forte valeur ajoutée : parmi les lycées dont le résultat est supérieur aux attentes, 28% sont dans le premier quartile en termes de nombre d’immigrés dans la commune. Il n’y en a que 22% dans le dernier quartile. Les deux chiffres devraient être égaux à 25%, si le taux d’immigrés n’avait pas d’influence sur la réussite du lycée.

Moins de chômage dans les cantons des lycées à plus forte valeur ajoutée, exactement dans les même proportions : 28% des lycées dont le résultat est supérieur aux attentes dans le premier quartile en termes de taux de chômage dans la commune, 22% dans le dernier quartile.

Plus d’enfants de professeurs ou d’instituteurs dans les cantons des lycées à plus forte valeur ajoutée : les chiffres sont cette fois de 27% et 23%.

Notre analyse montre donc que les indicateurs de valeur ajoutée ne répondent pas complétement à leur cahier des charges : la « valeur ajoutée » semble dépendre encore de caractéristiques intrinsèques des élèves ou de leur environnement, et non seulement de la qualité de l’enseignement du lycée. Est-il possible de supprimer ce biais ? En l’absence de documentation complète (à notre connaissance) sur le mode de calcul, il est difficile de répondre à la question.

Il est en tout cas troublant de constater que l’utilisation de données très bruitées – nous n’avons aucune donnée socio-démographique spécifique aux lycées – aboutit assez facilement à une conclusion claire. Espérons que le ministère de l’éducation pourra améliorer ses indicateurs. Nous allons de notre côté continuer à travailler sur le sujet, et vous en reparler. Cela montre, en tout cas, encore une fois, la puissance des analyses qui peuvent être réalisées à partir de données librement accessibles, avec les méthodes statistiques idoines.

Antoine Moreau

30/10/2014